Déconstruction ou démolition ?

Était-ce pour cela qu’elle n’avait pas tout de suite accepté ma proposition ? Savait-elle déjà que cela irait au-delà d’un simple partage des corps ? Était-ce de toute façon inévitable, et que je n’avais fait qu’accélérer les choses ? Peut-être … même certainement …

Je me rappelle encore de ce jour où tout a basculé, où elle m’a annoncé que des sentiments forts étaient nés pour cet homme. Je ne dirais pas que j’ai vu ma vie défiler devant mes yeux, mais je pense que j’étais proche de ce qu’on pourrait appeler un état de choc. Et après qu’allait-il se passer ? Était-ce la fin de notre histoire ? Allions-nous nous séparer ? Qu’avais-je fait ou pas fait pour en arriver là ? Si elle en aimait un autre, alors elle n’avait forcément plus de sentiments pour moi ? Mon cerveau était assailli de questions. On venait de lancer la boule de démolition, à pleine vitesse dans ma vie de couple, qui venait d’ouvrir une énorme brèche remettant en cause toute la stabilité de l’édifice. J’étais totalement perdu.

Je pense qu’en m’annonçant cette nouvelle, elle ne savait pas également où cela allait nous mener mais c’est une chose qu’elle n’aurait jamais pu garder pour elle en secret. Je pense que pendant les quelques jours qui ont suivi cette annonce j’ai vu mille fins. Pas juste la fin d’une histoire mais la fin d’une grande partie de ma vie. Se rendre compte que cette vie de couple était quasiment tout pour moi, que je n’avais pas ou plus d’existence sans ce couple. Et cette question tournait inlassablement dans ma tête : qu’avait cet homme, que je n’avais pas su lui apporter ?

Mais cet amour qu’elle avait pour cet autre homme, n’avait en fait rien entamé de l’amour qu’elle a pour moi. Évidemment cela a amené encore plus de troubles à mon état de déroute : fallait-il tout simplement tout démolir car plus rien n’était bon pour reconstruire ailleurs comme la société nous l’apprend, ou fallait-il déconstruire pour rebâtir ensemble sur de nouvelles bases ? Mais comment rebâtir, sur quel modèle, sur quelles règles, comment me positionner dans ce nouveau nous ? Nos rencontres, à l’époque, nous avait permis de croiser des personnes de la communauté polyamoureuse, ce qui m’a permis d’échanger un soir avec une personne qui se trouvait dans une situation proche de la mienne.

Le manque d’exemple ou de modèle se rapprochant de ma situation a été une chose compliquée à vivre pour moi, une sorte de traversée du désert en solitaire. Heureusement, la lecture d’ouvrage sur le sujet m’a permis de comprendre les principes du polyamour et son inclusion dans une vie de couple. La lecture du « Guides des amours plurielles » de Françoise Simpère a été une sorte de déclic pour moi, tout semblait simple et limpide. Était-ce juste l’effet du contraste avec les moments difficiles que je venais de passer ou une sorte d’utopie réellement accessible ? Pourtant tout était à remettre en cause dans ma façon de voir notre relation à deux. Alors si une partie de ma vie devait se terminer là, je ne voulais pas avoir le regret plus tard de ne pas avoir essayer d’emprunter ce nouveau chemin.

Le regard sur soi

Cette idée pouvait presque paraître anodine au départ, comme une simple envie d’expérimenter une nouvelle zone de notre sexualité à deux et y intégrer de nouveaux partenaires. C’était quelque part sortir de notre zone de confort avec un état d’esprit d’appréhension mesurée et une bonne dose d’excitation exacerbée. Avant de m’y plonger j’imaginais ce chemin comme un parcours de plaisir à deux, une continuité de notre cocon de vie de couple. Étonnamment le partage des corps s’est fait naturellement et je n’en garde aucun souvenir réellement douloureux. Nous discutions de nos limites souvent, voire très souvent, nous communiquions sur nos ressentis et faisions évoluer les barrières au fur et mesure que la pratique se confrontait à la théorie.

Mais pour moi, le problème s’est situé sur un plan complètement inattendu : celui de la séduction. Celle-là même qui vous ramène à la vision de votre propre corps et au regard des autres sur lui. Vais-je plaire, est ce que je sais encore séduire ? Tout un dialecte qui disparait au sein d’un couple exclusif, et qui a fait remonter chez moi ce souvenir du moi enfant et jeune homme réservé peu à l’aise avec son corps. Après plusieurs années cumulées de couvade paternelle (x3), j’avais pourtant pris le chemin d’une reprise en main de mon corps. Avant tout pour moi-même, mon bien être, prendre soin de moi, reprendre en main ce corps que j’avais délaissé depuis bien trop longtemps. Mais je me suis vite rendu compte que changer l’apparence de son corps ne change pas automatiquement la vision que l’on a de lui.

Et le milieu que nous fréquentions tous les deux, qui se veut bienveillant et plus inclusif n’était pas non plus exempt de travers. L’attention se portait principalement sur ma compagne et me donnait l’impression de passer juste pour « le mari de … », réveillant cette vieille cicatrice du moi réservé et qui ne se fait jamais remarquer. Cette grande différence de ressenti entre nous des expériences que nous vivions ravivait d’autant plus les choses. Par les conseils de ma compagne, j’ai fini par aller consulter un psychologue pour m’aider dans ce passage difficile. C’était la première fois pour moi, et je n’aurai jamais pensé en arrivé là au départ.

De tous les moments difficiles que j’ai traversés, c’est sans doute le seul pour lequel je n’ai pas trouvé de résilience complète. Aujourd’hui, parfois encore, je ressens un mélange étrange de colère et d’injustice, un sentiment de ne pas être légitime ni à ma place. Mais je sais que ce « regard sur moi » prend trop de place, m’empêche d’avancer, de me lancer. Alors je le mets sous le tapis et je continue d’avancer.

Planté du décor

Les histoires de vie n’ont jamais réellement de véritables début ou fin, ce ne sont en général que des extraits d’une longue ligne continue. Pourtant les évènements ont un ordre et ce qui se passe à un moment ne peut jamais vraiment totalement être décorrélé de ce qui s’est passé avant. J’aime connaitre le contexte des histoires des gens, ou plutôt j’aime connaitre un peu les gens, avant de rentrer dans leur histoire. Peut être que cela me permet de mieux m’identifier à eux ou de mettre en recul leur histoire par rapport à la mienne, je ne sais pas trop. Alors comme nous avons un peu de temps dans la montée, nous allons un peu étudier le « planté du décor » de mon histoire.

Rien de l’extérieur dans ma vie ne me prédisposait à vivre les étapes que j’ai traversé il y a quelques années maintenant. Une éducation « standard » dans une famille unie où je ne peux pas dire que j’ai subi de traumatismes particuliers. Dernier enfant d’une fratrie de trois, j’étais plutôt certainement le plus chouchouté dans cette position. Plutôt bon élève durant ma scolarité sans histoire, pas d’éducation religieuse mais quelques principes ancrés des anciennes générations (mariage, enfant et et pas de divorce et dans l’ordre s’il vous plaît). J’arrive dans la vie active avec un idéal de vie à la Disney et une expérience de la vie amoureuse digne de Harry Potter (c.à.d proche du zéro absolu). Je sais jusque là je vends du du rêve…

Bref un vie ordinaire et qui m’amenait tout droit vers le cadre social type, d’un mariage, des enfants, une maison, deux voitures et des animaux de compagnie. Et bien ce chemin tout droit je l’ai naturellement pris, comme quoi je ne devais déjà pas être bon en planté de bâton pour négocier toute de suite les virages. Et cette ligne droite je l’ai empruntée tranquillement pendant 12 ans. Ma compagne qui est devenue ma femme était ma première réelle relation, nous avons construit notre foyer avec nos 3 enfants et l’apprentissage de la parentalité ainsi que la libido fluctuante qui va avec. Et puis un jour j’ai émis la proposition de tenter le libertinage, plus comme un fantasme de ma libido souvent au taquet qu’un réel changement de ligne de vie. La proposition est restée lettre morte pendant un an, avant que ma femme ne la ressorte du placard. Ce que je ne savais pas encore à l’époque c’est que j’avais planté le bâton sans m’en rendre compte, mais que pour le moment je continuais toujours inlassablement tout droit avec mon costume de prince charmant sur le dos. Et forcément, les lois de la physique font que l’élasticité n’est jamais infinie, le virage ne pouvait que finir par me rattraper…

La suite ? Et bien c’est l’objet des articles suivants avec un focus sur comment gérer le planté de bâton quand vous n’êtes jamais vraiment monté sur des skis (spoiler : ça fait mal). Mon objectif n’est ni de vous faire pleurer, ni de vous faire penser que ce genre d’histoire se passe forcément et uniquement mal. Mais ce qui m’a peut être manqué le plus à l’époque de ces virages, c’est de ne pouvoir trouver des témoignages sur les difficultés du parcours. Des jolies histoires j’en ai trouvé et j’en trouve plein encore (et heureusement) mais elles m’ont interrogés souvent sur ma capacité et ma « normalité » à ne pas pouvoir gérer facilement ces virages compliqués.

La montée initiale est désormais terminée, restez bien accroché à votre siège.